lundi 19 avril 2010

La pornographe et le mythomane

Sombre journée striée de pluie carcérale. Après une défaite de l'Ajax, on cherche à quitter Paris. Évasion en AX. Errance en Seine-et-Marne. Piteuse odyssée...

Le 77 est une mare de céréales et de champs salés, où ça et là émergent des archipels urbains. La vie tente bien souvent de s'y agréger et de s'y développer. Stupéfiante ténacité de l'homme qui dans la steppe la plus austère cherche à fonder son oikos, ne rechignant à aucune compromission, mutation, dégénérescence.

Perdu, nous sommes attirés dans une taverne irlandaise, le Sir Say. Mes compagnons y consomment un breuvage composé de gruau d’orge, de miel et de lait caillé. Attirés par une partie de loto, ces pourceaux ne veulent plus repartir. Pourtant, en ce dimanche francilien, la route est longue et périlleuse jusqu'à nos pénates. Finalement, l'accumulation de mensonges prononcés par Vinjo nous oblige à fuir le village, sous le courroux des habitants et de leur bourgmestre, le rossignol du pays de Meaux.

La nuit se refuse à tomber et nous demeurons dans la pénombre d'un jour. Nos roues dévorent un bitume fluctuant sous le zéphyr. En dehors des toniques 45 chevaux de notre attelage, point de son... Enfin si... Un chant lancinant, comme une scie somptueuse. Serait-ce la Mammy Watta du Dahomey ? Je regarde mes compagnons, Vinjo et Kepora. Absorbés par les crachats de dance albanaise émergeant péniblement de l'auto-radio, ils semblent complètement sourd à ces hululements. Progressivement, je comprends qu'il ne s'agit que du pin-pon de la maréchaussée à la poursuite de dealeurs de neige. La route.

La malédiction s'abat sur nous, jamais nous ne retrouverons la petite couronne. Tenaillés par la faim et la soif, nous nous laissons attirer par les lumières d'une cité infernale. Les routes semblent trancher dans le corps de tours étouffantes. Comment est-ce possible ? Une configuration urbaine incroyable. Deux cités reliées par un isthme forment la capitale de la Brie. Tout est séparation dans ce monde. Tout est disparité, frontière et rivière. Enivrés, nous nous perdons dans un cœur médiéval, restreint et polymorphe. Les rues gothiques nous mettent mal à l'aise. La nausée me prend au parcours de ces ruelles ubuesques.

Soudain, une vision véritable nous transperce dans un frisson. Écartant ses cuisses à la vue de tous, la vénérabilité d'une ancienne église s'ouvre sur une boutique aux froufrous indécents. Lingerie et articles érotisant se donnent à voir, impudiques. Vrai ! Meaux la pornographe nous offre l'immonde entre ses cuisses. Vision cyclopéenne d'une géographie sociale indécente.

Déboussolés, nous accostons une zone commerciale où des suisses font du stop car. Des voitures sont en flammes, les vitrines sont brisées. Les biens de consommation pillés. Une seule institution demeure debout, érigée dans ce cauchemar, le night-club. Portes grandes ouvertes, il invite les paumés à y chercher une joie, un ersatz d'honneur et de foi. Typique des années 1980, le calypso et ce genre de boite qui ne vous laisse pas indifférents. On y est si bien qu'on y resterait. On y reste d'ailleurs sept années. Puis, au petit matin, tout ce fait naturellement. On se sépare comme si de rien n'était, comme si rien ne s'était passé. La route.

Notre quête semble s'achever. Bussy St George. L'A4. Porte des Lilas. Au moment où nous allons franchir le périph, cette pensée me traverse l'esprit. N'avons nous pas accompli œuvre de civilisations. Nous avons reconnu ce monde comme étant le notre, comme étant avant tout homme. Nous l'avons identifié dans notre identité. Je peux le dire, le crier : "Je suis un Seine-et-Marnais". Je suis un Seine-et-Marnais et rien de ce qui est Seine-et-Marnais ne me sera désormais indifférent. Une peur. Après un tel voyage, m'attend-t-on encore ? Quel accueil me sera fait chez moi ? Est-ce que je risque de me faire poignarder par mes amis ? Comment vais-je assouvir ma vengeance ?

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