jeudi 16 décembre 2010

Les loups sont entrés dans Paris... ou presque.

En tout cas, ils sont déjà à Maurepas. Ni par Ivry, ni par Issy, c'est plutôt par Versailles et Neuilly qu'ils pénétreront dans la capitale. Ils n'ont pas de chemises noires, les ülkücüler sont des loups gris qui se distinguent à leurs crocs effilés, deux brins de moustache retombant sur les côtés de la bouche, jusque sous la commissure des lèvres. Ces "idéalistes" (ülkücüler dans la langue d'Ohran Pamuk) sont des nationalistes panturques qui se sont éloignés du Kémalisme pour devenir, depuis les années 1990, les défenseur d'un national-islamisme s'étendant du Xinjiang aux Balkans.

A Maurepas, c'est aux fenêtres d'un salon de thé qu'ils affichent l'étendard aux trois lunes et au coyote.



Et les moustachus paradent devant le kebab. Comme aux origines. Quand Maurepas était une ville gallo-romaine, où les indigènes n'avaient pas peur d'afficher leurs bacchantes comme matérialisation imaginée de leur résistance à l'occupation. Occupation romaine, occupation teutonne, en 1940 voire en 1914, personnalisée dans La Grande Illusion par l'élégance d'Erich von Stroheim, aristocrate acteur mort en 1957 dans cette petite cité des Yvelines. Petite, car à cette époque, elle ne comptait à peine 300 âmes. 20 ans plus tard, Maurepas est devenue une cité-dortoir de presque 20.000 habitants.
Dès que ça flaire une ripaille
De morts sur un champ de bataille
Dès que la peur hante les rues
Les loups s’en viennent la nuit venue…
Maurepas, située dans une vallée certainement marécageuse, au sud de la Seine, a une histoire marquée sous le signe de la dépendance. Dépendance à l'abbaye de Saint-Denis au VIIIème siècle. Les seigneurs de Malrepast profitent de l'invasion normande pour s'approprier le fief. Mais au XIVème siècle, pendant la guerre de 100 ans, le noble brigand Haymon de Massy s'empare de la cité jusqu'à ce que l'Anglois démantèle les fortifications en 1432. Les seigneurs se succèdent, religieux ou laïcs. La politique nationale ou régionale, fait du fief une monnaie d'échange. Au XVIIème siècle, Louis XIV fait du village un comté, octroyé tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Maurepas alimente en eau Versailles, par aqueducs. Ces aménagements hydrauliques drainent le plateau et permettent d'assécher les marécages. On y constate certainement une diminution des moustiques, mais cela, les sources ne le précisent pas. Jusque la révolution, Maurepas se révèle incapable de prendre son destin en main.

Vers 1790, enfin, le village s'émancipe sous la houlette de son premier maire, le curé Jean-François Dandrieux. S'en suit 182 années d'autonomie discrète. Les 200 habitants de Maurepas vivent de peu, cachés, presque oubliés du monde et pourtant si proches du tropisme parisiens. Douce époque, où les maurepasiens maîtrisent enfin leur destinée, en toute quiétude, gouvernés par des échevins bonshommes, loin des embrouilles politiques nationales. Maurepas, libre et indépendante !
Le ciel redevenait sauvage,
Le béton bouffait l’paysage…
Mais voilà qu'en 1972, le monde rattrape ce petit-pays. Happée par la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, Maurepas champignonne en une cité populeuse. Il fallait un conseiller en communication pour comprendre en 1983 que le petit village d'antan avait vendu son âme aux sirènes du jeunisme. Jean-Louis Levet, maire RPR de la commune, décide de quitter la ville nouvelle. Et Maurepas retrouve depuis sa fierté et son indépendance. Le centre commercial Pariwest fait même de la commune un pôle d'attraction local, des Rambollitains et des Trappistes s'y rendant quotidiennement pour y faire leurs commissions.

C'est là, à Pariwest, autour d'une table mal éclairée du Flunch, que j'ai compris pourquoi le destin (matérialisé par la fonction aléatoire d'Excel) nous a envoyé, cette froide journée de décembre, à Maurepas. Nasty Salmon revenait avec sa septième assiette de légumes à volonté et Vinjo dégustait un somptueux plateau fromage. Moi, 2de classe Capdevielle, moi qui était le plus fier, je sabrais une bouteille de cidre pour fêter la première année de l'expérience IdfAX. En effet, un an d'aventures, un an de découvertes étaient ce jour là incarnés par cette cité francilienne. Une commune à mi-chemin entre le hameaux et la banlieue, tournée vers Paris mais ancrée dans un terroir. Un village de béton et son centre commercial cerné de fermes médiévales. Une ville à l'histoire soumise et rebelle. Une cité qui regrette ses moustiques et craint les loups.
Attirés par l’odeur du sang
Il en vint des mille et des cents
Faire carouss’, liesse et bombance
Dans ce foutu pays de France
Jusqu’à c’que les hommes aient retrouvé
L’amour et la fraternité….

5 commentaires:

  1. Je proteste, je n'ai pas mangé un seul légume ce jour, j'ai piqué le gâteau au chocolat de Vinjo.

    RépondreSupprimer
  2. Un loup gris ça mord ou ça mord pas ?

    Et sinon BN, cet acte 2 ??? Les lecteurs s'impatientent.

    RépondreSupprimer
  3. Beau texte. Bravo au 2nde classe !

    RépondreSupprimer
  4. Concaténation :

    "C'est avidement que je vous lis
    Je vous lis et cela me réjouit
    Cela me réjouit car cela me nourrit
    Cela me nourrit tant le cœur, que l'esprit !"

    Jean-Luc, # 09,01,XI.

    RépondreSupprimer
  5. Acte 2 prévu cette semaine.

    RépondreSupprimer